samedi 10 novembre 2012

Conte de Vertpré - Partie III


MERRICK

Épuisé.
Merrick était toujours épuisé. Depuis qu'il avait fini d'apprendre les bases de son métier et qu'il travaillait avec son père, il était épuisé.
Épuisé de couper et de travailler le bois, épuisé de l'assembler, épuiser de le porter.
Pourtant, il aimait le bois. C'était ce qu'il en faisait qui lui déplaisait. Lui qui avait rêvé de bâtir des maison et des échoppes, de sculpter des enseignes. Au lieu de cela, il devait concevoir des cercueils.
Lui qui n'aspirait qu'à créer pour les vivants devait se contenter de servir les morts.

Merrick ne dénigrait pas la profession de son père, bien au contraire. Après vingt-deux ans passé dans une famille de croque-morts, il savait le métier important et essentiel. Toutefois, ce n'était pas ce qu'il avait envisagé pour son avenir. Pourtant il avait conscience que l'affaire familiale se transmettait de père en fils, à tel point que personne parmi ses proches ne lui avait jamais demandé ce qu'il voudrait faire quand il serait plus grand. Hélas, c'était le lot de bien des enfants ayant grandi à la campagne. Les parents n'avaient pas toujours les moyens d'envoyer leurs progénitures à la ville pour leur payer un apprentissage autre que celui qu'ils pourraient leur transmettre eux-même sans avoir à débourser le moindre sous. Merrick n'avait pas échappé à la règle. Il ferait des cercueil et garderait le cimetière, comme son père.

Cela ne l'avait, bien sûr, pas aidé à se faire des amis.
Depuis tout petit, il était montré du doigt par les autres enfants. Tous pleins de vie, ils rechignaient à être en compagnie du fils du croque-mort.
Toutes sortes de superstitions se faisaient entendre à son sujet. Parfois même directement en sa présence. Les gens parlaient de lui comme s'il n'était pas à portée de leurs voix.
« Il porte malheur » disait-on, « il attire la mort », « il a fait un pacte avec les fées », « il parle aux morts », et bien d'autres fantaisies propres aux esprits étriqués des petits villages comme Vertpré.
Au début, ces remarques blessaient le jeune garçon qui, n'ayant jamais rencontré aucune fée ni conversé avec un fantôme, ne comprenait pas ces fariboles. Il était juste peiné d'être mis à l'écart, simplement parce qu'il était le fils de l'homme qui prenait en charge les morts du village.
Son père aussi était passé par là, et il avait appris à vivre en dehors de la communauté. Comme si le cimetière et leur maison était un autre univers, collé au village sans jamais pouvoir le toucher. Les seules interactions entre ces deux mondes avaient lieu lorsque quelqu'un décédait. La famille du mort venait parler au croque-mort. Celui-ci devait se déplacer dans le village pour ses affaire, et cela faisait parler les gens jusqu'à l'enterrement.
Puis les deux univers reprenaient leurs chemins, côte à côte, sans se regarder.
Même lorsque quelqu'un venait se recueillir sur une tombe, il ne semblait pas remarquer la maison ou ses habitants.
Et cette isolement avait longtemps affecté le petit Merrick.

Puis, en grandissant, il avait commencé à faire comme le reste de sa famille. Il avait appris à laisser dire les gens, à ne plus être touché par leur stupidité.
Comme son père, il devint détaché. Blasé par les gens du village, en particulier ceux de son âge.
Le jeune garçon avait aussi finit par s'habituer à rester dans le cimetière, qui était sans équivoque l'endroit le plus silencieux du village. Il en aimait le côté solennel, presque sacré.

Le cimetière était situé à l'écart du village, en haut d'une des imposantes collines qui le cernait, et la maison des croque-morts se trouvait juste à côté de son portail.
Il était à l'endroit qui représentait le mieux le ressenti des gens du village concernant leurs chers disparus. Les morts n'avaient plus rien à faire avec les vivants, mais il devaient pouvoir les observer pour veiller sur eux.
Et il est vrai que depuis le cimetière, la vue était imprenable.
Merrick aimait grimper sur le toit du tombeau de la famille du maire, le plus haut de tous, pour profiter du paysage le plus possible lorsqu'il sculptait des petits sujets.
C'était Oreste qui lui avait appris à tailler des animaux dans le bois, un peu par hasard.

La ferme d'Oreste était la bâtisse la moins éloignée du cimetière, un de ses prés allait même jusqu'aux abords du terrain alloué à la famille de Merrick. Celui-ci avait donc souvent l'occasion d'y voir les bêtes du fermier.
Un jour, alors que Merrick ne devait pas avoir plus de dix ans, il se fit chahuté une énième fois par les enfants du village et, tout naturellement, rentra donc se réfugier parmi les tombes pour y pleurer tout son soûl. Une main réconfortante s'était posée sur son épaule.

« Un grand garçon comme toi ne pleure plus, lui avait dit Oreste sur un ton bienveillant mais ferme.
– Les autres... C'est à cause des autres que je pleure. Ils me mettent en rage !
– Alors ne leur fais pas plaisir en leur donnant ce qu'ils veulent. »

Merrick avait regardé avec étonnement le fermier. Il n'avait jamais vu les choses sous cet angle.
De sa poche, Oreste sortit un petit mouton sculpté grossièrement dans du bois et le tendit au jeune garçon qui le prit avec précaution et l'observa. Ce n'était pas très réaliste et le bois n'était pas vernis. On aurait dit que le morceau d'olivier que le fermier avait choisi avait déjà eu la forme vague d'un mouton que l'homme l'avait simplement affiné pour que chacun puisse y reconnaître l'animal.

« Quand on est contrarié, on s'occupe intelligemment pour ne plus y penser, fit Oreste un peu bourru. Voilà ce que je fais, moi. Si tu veux, je peux t'apprendre. »
Merrick avait accepté, fasciné par cette nouvelle philosophie et, surtout, par la possibilité de créer quelque chose.

Le fermier lui dit qu'il pouvait garder le petit mouton, puis il commença par lui expliquer comment trouver le bon morceau de bois, celui qui racontait déjà une histoire. Celui dans lequel Merrick voyait déjà quelque chose. Il lui demanda d'en trouver au moins un pour le lendemain.

A l'époque, Oreste venait de perdre sa mère et, durant l'année que dura sa période de deuil, il venait se recueillir chaque jour sur sa tombe, parfois avec sa femme et sa fille, et le plus souvent seul.
Et, chaque jour, il retrouvait Merrick et ensembles ils sculptaient un petit sujet. Il ne se parlait que pour demander ou expliquer des détails sur le bois.
Puis un jour, le fermier ne vint pas. Ses visites commencèrent à se faire irrégulières après un an. Et finalement, il ne se déplaça plus qu'une fois par an, pour l'anniversaire de la mort de sa mère.
Mais même sans Oreste, Merrick continua de sculpter le bois.
Au début, ce n'était que pour calmer ses diverses contrariétés, puis ce fut tous les jours. Finalement, il comprit que même une bête planche de bois avait des choses à raconter, alors il se mit à sculpter sur toutes sortes de supports.

Puis, un jour, son père commença à lui apprendre à travailler le bois « sérieusement », comme il disait, pour construire des cercueils. Et son apprentissage officiel de fossoyeur commença.
Des mesures du mort à l'enterrement lui-même, il devait tout apprendre.
Sa seule consolation avait été de pouvoir sculpter les croix.
Et depuis qu'il avait débuté en tant que croque-mort, Merrick était épuisé.

Ce jour-là, avec la pluie qui tombait, impossible d'apercevoir grand chose du village depuis le cimetière. Merrick distinguait tout juste les bêlements des moutons d'Oreste.
Le jeune homme soupira, les yeux fermés, puis les rouvrit pour regarder les éclairs traverser les nuages. Le ciel sombre, la pluie et l'orage donnaient au cimetière des allures fantomatiques, mais le jeune fossoyeur y était habitué.
A l'abri sous le porche du tombeau de la famille du maire, il attendait que la tempête se calme. Au moins demain il fera un peu frais, songea-t-il.
Avec la chaleur des derniers jours, il n'avait pas eu le courage d'aller au village emprunter son cheval à Raoul pour aller jusqu'à la ville. Pourtant il devait s'y rendre, comme beaucoup de jeunes gens, pour récupérer son costume pour la fête. Mais voyager par des températures trop élevées le fatiguait.
Il avait toutefois hâte que les célébrations commencent. Contrairement à ce que les villageois laissaient entendre au sujet de sa famille, Merrick et son père adoraient fêter le solstice.
C'était la seule occasion qu'avait le jeune homme de fêter quelque chose avec les autres, considérant que ses seules interactions avec les gens de Vertpré étaient rarement festives.
Les jeunes gens du village étaient toujours surpris de le voir pour le Solstice, et ils l'étaient d'autant plus quand Merrick dansait parmi eux, car il était assez bon danseur. Parfois même, il avait une cavalière. Le plus souvent c'était la fille d'Oreste, Heolia.
Heolia qu'il avait rencontré quelquefois à l'époque où Oreste venait au cimetière tous les jours.
Ils n'étaient pas vraiment amis, dans la mesure où ils s'étaient rarement échangés plus que quelques mots, ils s'entendaient toutefois plutôt bien. Du moins Heolia ne considérait-elle pas Merrick comme un étranger.
Etait-ce dû au fait que, comme sa propre famille, la famille d'Oreste vivait à l'écart du village ? Comme un intermédiaire entre les fossoyeurs et Vertpré, un lien entre les deux mondes.

Heolia était la personne que Merrick voyait le plus souvent en dehors de son propre père. Tout le printemps et tout l'été elle passait ses journées dans la campagne autour de sa maison et le jeune homme allait parfois lui tenir compagnie. Comme lui, elle aimait le silence. Parfois ils passaient des heures sans se parler, avec pour seul bruit autre que ceux de la nature, celui du couteau de Merrick sur le bois qu'il sculptait.

Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'ils dansent parfois ensembles, bien que cela fasse parler les gens.
Mais il y avait bien longtemps que Merrick n'écoutait plus les gens.

mardi 6 novembre 2012

Conte de Verpré - Partie II


HEOLIA


L'orage s'attardait sur la maison d'Oreste et sa bergerie, un peu à l'écart de Vertpré. Une bonne chose que d'avoir colmaté ce matin le trou de sa toiture avec Raoul et Meodhor, se dit le berger. . Les moutons avaient peur de l'orage et leurs bêlements incessants avaient poussé le berger à fermer la fenêtre de la chambre qu'il partageait avec sa femme.
Celle-ci était occupée à faire la cuisine et l'odeur de la viande et des légumes commençait à remplir la maison. Oreste sourit puis sursauta en entendant la porte claquer.
« Ta fille, fit simplement Mia depuis la cuisine.
Elle leur passe tout... »

Les pieds et la tête nus, la jeune fille courrait sous la pluie incessante qui s'abattait toujours sur Vertpré.
Héolia n'avait que faire des intempéries, elle aimait la nature par tous les temps et depuis que son père lui avait confié la garde du petit troupeau de moutons à ses dix ans, elle l'appréciait encore plus. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne soit dehors, pieds-nus, à guider ses moutons à travers la campagne.
Elle connaissait les alentours par cœur, de même qu'elle savait reconnaître chacune de ses bêtes.
Ce qu'elle aimait par dessus tout, c'était passer l'après-midi sous l'ombre d'un arbre, à écouter le bruissement du vent dans l'herbe et les feuilles et le bruit de mastication tranquille des moutons. Parfois quand il y avait des agneaux, c'était un peu plus compliqué. Il fallait s'assurer qu'ils ne s'éloignent pas trop du troupeau, et comme Héolia n'avait pas de chien, elle devait être attentive.
Chacun de ses moutons avait une clochette au cou, et chaque clochette tintait d'un son différent. Ainsi la jeune bergère savait si tous ses moutons étaient présents.

Depuis huit ans elle s'occupait de son troupeau. Oreste tondait la laine quand venait le temps et la vendait à la ville. Mia faisait du fromage.
En plus des moutons il y avait quelques vaches et deux chèvres, dont le lait servait également à la mère de la jeune femme. Mais Héolia n'avait à s'occuper que de ses moutons, et elle prenait son travail bien à cœur. Son père était très fier, mais parfois il lui semblait que sa fille gâtât un peu trop ses bêtes, comme c'était le cas lors des tempêtes. Il ne serait jamais venu à l'esprit du fermier d'aller passer la nuit dans son étable pour rassurer ses vaches.
Mais Héolia, elle, s'occupait de son troupeau comme elle se serait occupée de ses enfants ou de ses petits frères et soeurs.

Le ciel s'était couvert dès le matin, amenant ses lourds nuages noirs. La pluie avait commencé à tomber sporadiquement, puis soudainement, des trombes d'eau s'étaient abattues sur Vertpré et n'avaient pas cessé depuis. Avec elle, s'était installé l'orage.
Dès que les premiers coups de tonnerre avaient retentit, les bêtes de la ferme s'étaient mises à piaffer, à gesticuler et à s'énerver. Héolia n'avait donc pas perdu de temps à se couvrir les épaules pour sortir en courant rejoindre ses animaux.

Le petit troupeau était agité, effrayé par l'orage qui éclatait maintenant au dessus du village. Malgré le confort et l'abri que leur procurait leur bergerie, les moutons bêlaient et s'affolaient.
Parmi eux, la jeune femme allait de l'un à l'autre, chuchotant des paroles rassurantes et distribuant des petites caresses pour rassurer les bêtes. A son approche, les moutons se serraient, visiblement habitués à sa présence. Quand elle en quittait un pour aller vers le suivant, il restait dans son sillage. Jamais elle ne semblait fatiguée ou agacée.
Un sourire au visage, elle finit toutefois par s'asseoir sur un ballot de foin et ses bêtes se pressèrent toutes autour d'elle, à peine moins agitées. Doucement, la jeune bergère commença à fredonner un air.
L'orage ne la dérangeait pas. Elle aimait le son de la pluie sur la campagne, le grondement du ciel et les lumières qui transperçait les nuages. Mais elle savait que ses moutons ne se calmeraient pas si elle ne restait pas avec eux le temps que la tempête s'éloigne.
Ses longs cheveux, que le soleil des derniers jours avait commencé à déteindre, étaient encore trempés après sa course sous la pluie. Elle s'enroula plus dans son châle et enfonça ses pieds nus dans le foin. Entourée de ses protégés, elle était comme dans un cocon de laine qui ne cessait de se mouvoir.

L'orage passait, doucement, à son rythme. Héolia entendait la pluie qui s'éloignait de la ferme et déjà, les moutons commençaient à se calmer. Au loin, elle distinguait les éclats de voix qui provenaient du village. L'auberge de Perrot doit être bien animée, songea-t-elle avec un sourire amusé. Perrot était un homme sympathique mais il n'aimait pas que Héolia vienne chez lui. Elle savait qu'il n'appréciait pas qu'elle entre pieds nus et couverte de l'odeur des moutons. La plupart du temps, elle se contentait de le saluer depuis l'entrée lorsqu'elle accompagnait son père à l'auberge. Puis elle allait s'asseoir sur le bord du bassin de la fontaine en attendant qu'ils finissent leurs affaires.
La fille de Perrot était plus agréable, mais elle aussi avait du mal avec l'odeur. Quand elle venait tenir compagnie à Héolia près de la fontaine, elle s'asseyait toujours à une distance raisonnablement éloignée, mais suffisamment proche pour pouvoir converser.
La jeune bergère admirait beaucoup Louison, qui avait la chance de vivre au cœur même du village et de se permettre une certaine coquetterie. Elle était toujours vêtue et coiffée joliment.
Non pas qu'Héolia ait été mal vêtue, mais son caractère libre et ses activités lui laissaient rarement l'occasion de se mettre en valeur. Elle portait des robes simples et solides, en lin ou en coton, son manteau de laine et des sabots ou des chausses de cuir quand l'hiver arrivait. Mais la plupart du temps, quand l'été était là, elle se contentait de sa toilette habituelle. Elle ne portait pas de chaussures, parfois un bonnet si le soleil tapait trop dur, et toujours les cheveux lâchés.
Son teint était halé l'été, à force de passer ses journées dehors à guider ou faire paître les moutons. Et l'hiver, elle devenait pâle comme la neige et ses cheveux reprenaient leur couleur châtain.
A côté d'une jeune femme propre sur elle comme Louison, Héolia se sentait souvent comme une souillon. Pourtant la fille de l'aubergiste l'avait souvent détrompée.

« Si tu t'arrangeais un peu, tu serais très jolie, lui avait-elle dit un jour où elles se tenaient compagnie pendant que leurs pères marchandaient. Moi, c'est parce que j'ai de belles toilettes que je fais bonne impression.
– Je n'ai ni le temps, ni l'occasion. Tu m'imagines garder mes moutons en crinoline et corset de soie ?
– Tu ne devrais pas garder des moutons, ce n'est pas la place d'une jeune fille. Et puis tu vas finir par garder leur odeur sur toi jusqu'à ta mort.
– Mais j'aime mes moutons, avait répondu Héolia en riant. J'aime être dehors et marcher avec eux.
– Tu devrais porter des chaussures, aussi ! »

Et la discussion continuait ainsi sans fin. Louison voulait embellir Héolia et lui faire porter des toilettes décentes pour une jeune fille de la campagne, et Héolia voulait vivre au gré des saisons et de son cœur.
Elle aimait pourtant s'apprêter. Quand la fête du solstice approchait, comme toutes ses camarades elle se mettait en quête d'une robe et d'une coiffure. Elle la faisait elle-même, avec l'aide parfois de sa mère. C'était l'occasion de se sentir un peu plus femme et un peu moins bergère. L'année précédente elle avait même dansé plusieurs fois avec quelques jeunes hommes.
Le bal était surtout l'occasion de s'amuser et de fêter l'arriver des beaux jours. Elle aimait cette fête, sa musique entraînante  ses lampions dans les arbres, ses guirlandes autour de la place du village. Tous ces gens qui souriaient, s'amusaient, riaient, dansaient.
Il lui semblait que ce soir-là, les fées se penchaient sur le village et lui faisait profiter de leur magie.
Et pour cela, elle attendait toujours avec impatience la fête du solstice.

vendredi 2 novembre 2012

Conte de Vertpré - partie I

LOUISON

Une pluie diluvienne tombait ce jour-là sur le petit village de Vertpré. La campagne alentour, d'ordinaire verte et ensoleillée, était écrasée sous de lourds nuages noirs qui obscurcissaient tant le ciel qu'il semblait que la nuit était tombée.
A cette heure-ci, un jour de beau temps, le village grouillerait de vie. Mais la pluie avait fait rentrer les hommes et les bêtes et, hormis le chien du boulanger qui aboyait tant et plus comme pour faire fuir la tempête, on entendait seulement l'eau tomber en abondance sur la terre qu'elle rendait de moins en moins ferme.
On aurait pu croire qu'un temps si peu clément aurait attristé les habitants. Pourtant, malgré l'orage, les villageois étaient satisfaits. Et même plutôt heureux.
L'été arrivait, et avec lui ses grosses chaleurs qui abîmaient les récoltes et fatiguaient les animaux. Les gens du village se rassuraient donc car la température des derniers jours se trouvait bien atténuée par cette pluie tant attendue.

Le bruit de l'eau martelant les tuiles des maisons et le sol résonnait dans les rues désertées de Vertpré. L'odeur de terre et d'herbe mouillées commençait à s'insinuer dans la grande salle de l'auberge, dont la porte était restée ouverte pour laisser entrer la fraîcheur apportée par l'orage.
A l'intérieur, une dizaine de villageois parlaient, s'interpellaient ou buvaient. L'ambiance était amicale, bruyante et portée par des voix masculines, pour la plupart.
Sous un tel déluge, on ne pouvait espérer travailler la terre ou sortir les bêtes et les hommes s'étaient donc retrouvés à l'auberge pour s'abriter, échanger avec leurs voisins, et bien sûr jouer ou boire.
Perrot n'était pas pour s'en plaindre, les jours comme celui-ci arrangeaient bien ses affaires. Son établissement était à l'image du village: petit et accueillant et Vertpré n'était pas un lieu de grande affluence, aussi l'auberge vivait grâce la clientèle locale. Celle-ci était fidèle mais peu dépensière. Les jours de pluie changeaient un peu la donne car ils amenaient d'autres gens que ses habitués.
Aodhan , qui avait pourtant sa forge à quelques mètres en face de la taverne sur la place du village, ne se déplaçait pour boire que ces jours-là.
Un drôle de garçon, celui-là, songeait Perrot à chaque apparition du jeune homme dans sa salle. Il venait rarement mais il avait une descente qui étonnait systématiquement l'aubergiste. Pourtant on ne l'avait jamais vu saoûl. Aodhan semblait savoir exactement où s'arrêter.
Pour le moment, il trinquait avec le boulanger et les deux soldats que le Duc avait assigné à la sécurité du village.

Raoul et Meodhor, ceux-là aussi il y avait de quoi dire à leur sujet, Perrot le savait. Le Duc ne devait pas s'inquiéter plus que cela de la sécurité de Vertpré pour envoyer deux incompétents comme ces deux-là. Ils n'avaient pas mauvais fond, au contraire, ils étaient même plutôt sympathiques pour des soldats, mais l'aubergiste doutait grandement de leur capacité à protéger tout un village. Ils passaient plus de temps à l'auberge qu'à arpenter les rues.
Ceci dit, dès qu'ils pouvaient rendre service, ils le faisaient. Encore ce matin ils avaient aidé Oreste avec quelques réparations. Mais ils ne manquaient jamais l'occasion de boire et aujourd'hui était sans doute une très bonne journée de leur point de vue.

Perrot soupira alors que les deux hommes appelaient sa femme, Manon, en souriant béatement pour reprendre une choppe de bière, tandis qu'Aodhan finissait d'une traite la sienne. Une jeune fille l'approcha, un plateau à la main, prête à prendre sa commande suivante. Perrot fut plus rapide.

« Louison ! Héla-t-il, faisant sursauter la jeune serveuse qui se tourna vers lui avec un regard affligé.
   – Papa, je travaille, répliqua-t-elle sur le ton de l'évidence.
   – Tout juste, vas donc me nettoyer un peu ça ! Ordonna l'aubergiste en lui désignant l'entrée de la salle. Ils m'ont mis de l'eau et de la boue partout, ta mère va finir par glisser et se tuer en courant pour les servir, ces bougres. »

Le ton ne laissait pas de place à la discussion. La jeune femme soupira en regardant sa mère, une femme plutôt corpulente, prendre la commande du jeune forgeron et adressa un nouveau regard assassin à son père avant d'aller s'emparer d'un balais et d'un chiffon avec un agacement à peine dissimulé. Elle lâcha un autre soupire en laissant tomber le chiffon sur le porche sans grande motivation et commença à frotter, ignorant les plaisanteries de Louvain, le fils du boucher.
S'il espérait la convaincre d'être sa cavalière pour la fête du solstice, celui-là, il était très loin du compte.
Car cette fête était tout ce qui occupait l'esprit de Louison ces dernières semaines. Et sans doute celui de toutes les jeunes filles du village. C'était bien la seule occasion de s'amuser et d'être coquette dans une jolie toilette.
Tous les ans les villageoises se mettaient en quatre pour le petit bal. Il fallait trouver la robe parfaite, la coiffure parfaite, les chaussures parfaites, rien ne devait être laissé au hasard. La plupart d'entre elles faisaient elles-même leurs toilettes, se préparant des mois à l'avance, économisant pour pouvoir s'offrir le tissu de leur choix. Louison, elle, n'avait jamais vraiment eu ce problème.
Étant la fille de l'aubergiste, elle était probablement une des plus gâtée. Tous les ans depuis qu'elle était en âge d'y participer, Manon l'accompagnait à la ville et ensembles elles choisissaient la robe. Taillée sur mesure, la toilette était ensuite livrée directement à l'auberge, ce qui ne manquait pas de faire jaser les autres filles.

La jeune femme n'était pas dupe, elle n'était pas vilaine, mais elle savait ne pas être d'une grande beauté non plus. Elle avait un visage et un nez trop longs et elle était un peu voutée, à cause de son activité à l'auberge, toujours penchée pour balayer. Mais elle avait un regard vif et clair et de jolies formes. Et surtout, elle savait ce qui la mettait en valeur et elle pouvait se permettre d'être un peu coquette.
Il ne faisait aucun doute qu'on ne verrait qu'elle à la fête. Surtout grâce à la magnifique robe de mousseline et taffetas rouge qu'elle avait commandé cette année.
A cette pensée, elle sourit et jeta un coup d'oeil du côté d'Aodhan. Peut-être qu'il l'inviterait.


Cela ne faisait qu'un an que le jeune homme avait repris la forge du village. Vertpré avait perdu son forgeron quelques mois auparavant et Aodhan était arrivé providentiellement. Il venait pour prendre un poste à la ville et avait fait halte au village pour la nuit. A l'auberge, il avait appris que la forge était à reprendre et quelques semaines plus tard, avec l'aide de son oncle, il l'avait rachetée et avait reprit le travail. Il forgeait et ferrait les chevaux.
C'était un jeune homme assez tranquille et discret, il était rarement loin de sa forge. D'abord parce qu'il ne manquait pas de travail et ensuite parce qu'il ne semblait pas chercher particulièrement la compagnie des autres personnes.
Mais à l'auberge, avec quelques choppes, sa langue se déliait un peu. Louison aimait le voir parler avec les autres hommes du village et échanger quelques plaisanteries. Elle avait eu quelquefois l'occasion de lui parler et ce qu'elle avait appris lui avait plu.
Aodhan était travailleur, il voulait rembourser au plus vite l'argent que son oncle avait prêté pour être indépendant. Il voulait s'établir et, avait -il dit à la jeune femme, Vertpré était un bel endroit pour le faire.
Il avait préféré s'installer dans un petit village car la foule de la ville le rendait nerveux. Et puis, avait-il aussi avoué, il appréciait la population de ce village.

Quand il venait à l'auberge, il prenait toujours soin de saluer Louison en premier, et l'attention touchait beaucoup la demoiselle. Et bien qu'en dehors de ce petit salut il ne cherchât pas particulièrement sa compagnie, elle s'imaginait déjà à son bras pour la fête. Car après tout, il parlait si peu, et si rarement à des jeunes filles, pourquoi en serait-il autrement ?

Louison sourit à Aodhan, mais celui-ci ne sembla pas la voir. Elle reprit donc son nettoyage en regardant de temps en temps la pluie qui tombait toujours plus depuis le matin, et qui ne semblait pas vouloir cesser. Cette pluie, qui semblait vouloir laver le village pour le rendre resplendissant pour accueillir l'été.

NaNoWriMo !

Eh oui !
Ce blog est créé juste pour ma participation au National Novel Writing Mounth de Novembre 2012 !
Comme j'ai envie de partager l'avancée du roman au fur et à mesure que je l'écrirai, j'ai décidé que créer un blog serait pas mal.

Donc le principe du NaNoWriMo c'est d'écrire une histoire en 50 000 mots minimum, en un mois. Le but n'est pas d'avoir un roman parfait, mais plutôt un premier jet qui pourra (ou non) être retravaillé par la suite. Mais il faut finir le 30 Novembre !
Cette année, je tente le coup, on verra bien ce que ça donne. ^^

N'hésitez pas à commenter, donner des conseils ou lancer vos hypothèses, ce sera sympa !

Je vous propose une petite histoire de village, au thème un peu champêtre et hors du temps. Il y aura plusieurs personnages, une petite intrigue mais ce sera une histoire toute simple pour me permettre de finir ce mois-ci !

De temps en temps, je posterai aussi des petits croquis des personnages et peut-être aussi de certains décors, pourquoi pas.

A bientôt et courage à ceux qui participent aussi !