mardi 6 novembre 2012

Conte de Verpré - Partie II


HEOLIA


L'orage s'attardait sur la maison d'Oreste et sa bergerie, un peu à l'écart de Vertpré. Une bonne chose que d'avoir colmaté ce matin le trou de sa toiture avec Raoul et Meodhor, se dit le berger. . Les moutons avaient peur de l'orage et leurs bêlements incessants avaient poussé le berger à fermer la fenêtre de la chambre qu'il partageait avec sa femme.
Celle-ci était occupée à faire la cuisine et l'odeur de la viande et des légumes commençait à remplir la maison. Oreste sourit puis sursauta en entendant la porte claquer.
« Ta fille, fit simplement Mia depuis la cuisine.
Elle leur passe tout... »

Les pieds et la tête nus, la jeune fille courrait sous la pluie incessante qui s'abattait toujours sur Vertpré.
Héolia n'avait que faire des intempéries, elle aimait la nature par tous les temps et depuis que son père lui avait confié la garde du petit troupeau de moutons à ses dix ans, elle l'appréciait encore plus. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne soit dehors, pieds-nus, à guider ses moutons à travers la campagne.
Elle connaissait les alentours par cœur, de même qu'elle savait reconnaître chacune de ses bêtes.
Ce qu'elle aimait par dessus tout, c'était passer l'après-midi sous l'ombre d'un arbre, à écouter le bruissement du vent dans l'herbe et les feuilles et le bruit de mastication tranquille des moutons. Parfois quand il y avait des agneaux, c'était un peu plus compliqué. Il fallait s'assurer qu'ils ne s'éloignent pas trop du troupeau, et comme Héolia n'avait pas de chien, elle devait être attentive.
Chacun de ses moutons avait une clochette au cou, et chaque clochette tintait d'un son différent. Ainsi la jeune bergère savait si tous ses moutons étaient présents.

Depuis huit ans elle s'occupait de son troupeau. Oreste tondait la laine quand venait le temps et la vendait à la ville. Mia faisait du fromage.
En plus des moutons il y avait quelques vaches et deux chèvres, dont le lait servait également à la mère de la jeune femme. Mais Héolia n'avait à s'occuper que de ses moutons, et elle prenait son travail bien à cœur. Son père était très fier, mais parfois il lui semblait que sa fille gâtât un peu trop ses bêtes, comme c'était le cas lors des tempêtes. Il ne serait jamais venu à l'esprit du fermier d'aller passer la nuit dans son étable pour rassurer ses vaches.
Mais Héolia, elle, s'occupait de son troupeau comme elle se serait occupée de ses enfants ou de ses petits frères et soeurs.

Le ciel s'était couvert dès le matin, amenant ses lourds nuages noirs. La pluie avait commencé à tomber sporadiquement, puis soudainement, des trombes d'eau s'étaient abattues sur Vertpré et n'avaient pas cessé depuis. Avec elle, s'était installé l'orage.
Dès que les premiers coups de tonnerre avaient retentit, les bêtes de la ferme s'étaient mises à piaffer, à gesticuler et à s'énerver. Héolia n'avait donc pas perdu de temps à se couvrir les épaules pour sortir en courant rejoindre ses animaux.

Le petit troupeau était agité, effrayé par l'orage qui éclatait maintenant au dessus du village. Malgré le confort et l'abri que leur procurait leur bergerie, les moutons bêlaient et s'affolaient.
Parmi eux, la jeune femme allait de l'un à l'autre, chuchotant des paroles rassurantes et distribuant des petites caresses pour rassurer les bêtes. A son approche, les moutons se serraient, visiblement habitués à sa présence. Quand elle en quittait un pour aller vers le suivant, il restait dans son sillage. Jamais elle ne semblait fatiguée ou agacée.
Un sourire au visage, elle finit toutefois par s'asseoir sur un ballot de foin et ses bêtes se pressèrent toutes autour d'elle, à peine moins agitées. Doucement, la jeune bergère commença à fredonner un air.
L'orage ne la dérangeait pas. Elle aimait le son de la pluie sur la campagne, le grondement du ciel et les lumières qui transperçait les nuages. Mais elle savait que ses moutons ne se calmeraient pas si elle ne restait pas avec eux le temps que la tempête s'éloigne.
Ses longs cheveux, que le soleil des derniers jours avait commencé à déteindre, étaient encore trempés après sa course sous la pluie. Elle s'enroula plus dans son châle et enfonça ses pieds nus dans le foin. Entourée de ses protégés, elle était comme dans un cocon de laine qui ne cessait de se mouvoir.

L'orage passait, doucement, à son rythme. Héolia entendait la pluie qui s'éloignait de la ferme et déjà, les moutons commençaient à se calmer. Au loin, elle distinguait les éclats de voix qui provenaient du village. L'auberge de Perrot doit être bien animée, songea-t-elle avec un sourire amusé. Perrot était un homme sympathique mais il n'aimait pas que Héolia vienne chez lui. Elle savait qu'il n'appréciait pas qu'elle entre pieds nus et couverte de l'odeur des moutons. La plupart du temps, elle se contentait de le saluer depuis l'entrée lorsqu'elle accompagnait son père à l'auberge. Puis elle allait s'asseoir sur le bord du bassin de la fontaine en attendant qu'ils finissent leurs affaires.
La fille de Perrot était plus agréable, mais elle aussi avait du mal avec l'odeur. Quand elle venait tenir compagnie à Héolia près de la fontaine, elle s'asseyait toujours à une distance raisonnablement éloignée, mais suffisamment proche pour pouvoir converser.
La jeune bergère admirait beaucoup Louison, qui avait la chance de vivre au cœur même du village et de se permettre une certaine coquetterie. Elle était toujours vêtue et coiffée joliment.
Non pas qu'Héolia ait été mal vêtue, mais son caractère libre et ses activités lui laissaient rarement l'occasion de se mettre en valeur. Elle portait des robes simples et solides, en lin ou en coton, son manteau de laine et des sabots ou des chausses de cuir quand l'hiver arrivait. Mais la plupart du temps, quand l'été était là, elle se contentait de sa toilette habituelle. Elle ne portait pas de chaussures, parfois un bonnet si le soleil tapait trop dur, et toujours les cheveux lâchés.
Son teint était halé l'été, à force de passer ses journées dehors à guider ou faire paître les moutons. Et l'hiver, elle devenait pâle comme la neige et ses cheveux reprenaient leur couleur châtain.
A côté d'une jeune femme propre sur elle comme Louison, Héolia se sentait souvent comme une souillon. Pourtant la fille de l'aubergiste l'avait souvent détrompée.

« Si tu t'arrangeais un peu, tu serais très jolie, lui avait-elle dit un jour où elles se tenaient compagnie pendant que leurs pères marchandaient. Moi, c'est parce que j'ai de belles toilettes que je fais bonne impression.
– Je n'ai ni le temps, ni l'occasion. Tu m'imagines garder mes moutons en crinoline et corset de soie ?
– Tu ne devrais pas garder des moutons, ce n'est pas la place d'une jeune fille. Et puis tu vas finir par garder leur odeur sur toi jusqu'à ta mort.
– Mais j'aime mes moutons, avait répondu Héolia en riant. J'aime être dehors et marcher avec eux.
– Tu devrais porter des chaussures, aussi ! »

Et la discussion continuait ainsi sans fin. Louison voulait embellir Héolia et lui faire porter des toilettes décentes pour une jeune fille de la campagne, et Héolia voulait vivre au gré des saisons et de son cœur.
Elle aimait pourtant s'apprêter. Quand la fête du solstice approchait, comme toutes ses camarades elle se mettait en quête d'une robe et d'une coiffure. Elle la faisait elle-même, avec l'aide parfois de sa mère. C'était l'occasion de se sentir un peu plus femme et un peu moins bergère. L'année précédente elle avait même dansé plusieurs fois avec quelques jeunes hommes.
Le bal était surtout l'occasion de s'amuser et de fêter l'arriver des beaux jours. Elle aimait cette fête, sa musique entraînante  ses lampions dans les arbres, ses guirlandes autour de la place du village. Tous ces gens qui souriaient, s'amusaient, riaient, dansaient.
Il lui semblait que ce soir-là, les fées se penchaient sur le village et lui faisait profiter de leur magie.
Et pour cela, elle attendait toujours avec impatience la fête du solstice.

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